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Mouvements: Thomas Demand

Date et heure
Samedi 19 janvier 2013

Mouvements: Thomas Demand

L’outil Mouvements est conçu par DHC/ART — Éducation afin d’encourager les visiteurs à développer en profondeur certaines idées clés explorées par Thomas Demand: Animations. Dès que des participants utilisent Mouvements, les concepts proposés par les éducateurs de DHC/ART se partagent peu à peu entre eux via leur force d’évocation et de résonance ; s’ouvrent ainsi des pistes de réflexion communes autour des œuvres et de l’exposition. Avec le temps, ces concepts migratoires [1] voyagent, s’enrichissent et se transforment, ils inspirent à tous et chacun d’autres idées qui constitueront de nouvelles contributions aux conversations sur l’art.

Mouvements nous rappelle également que l’expérience esthétique s’adresse tout autant à notre corps — à tous ses sens et à ses mouvements — qu’à notre intellect. Les mouvements physiques de notre corps sont intimement liés à ses mouvements émotifs et affectifs. Nos déplacements dans l’espace d’exposition éveillent nos sens. Au rythme de nos trajectoires et de nos jeux avec les différentes perspectives, notre vision devient mobile elle aussi : les images prennent forme alors que notre mémoire et notre imagination sont touchées, un paysage visuel se structure peu à peu. À l’aide de ce document, nous vous invitons à plonger tout entier — esprit et corps — dans les expositions de DHC/ART afin de développer une compréhension riche et dynamique de celles-ci.

CONTEXTE
Index
Notre interprétation fluctuante des photographies et des animations image par image de Thomas Demand fait état de la double nature de la photographie, qui agit à la fois comme la preuve objective d’un évènement donné et comme une manipulation subjective de ce même évènement. Ces images détaillées de maquettes de papier grandeur nature, photographiées puis détruites, sont des index du travail de l’artiste dans son studio, bien qu’elles nous font voir des sites imaginés, fictifs, dans lesquels nous sommes appelés à nous projeter et à circuler. Le terme index est ici emprunté aux théories du sémioticien Charles Sanders Peirce: au cours du 20e siècle, le concept a été repris par les théoriciens de l’image, utilisé pour sa capacité à illustrer la relation de contiguïté qui s’établit entre un objet et sa représentation lors de l’opération photographique [2]. Pour Peirce, l’index est un signe qui pointe, qui indique, qui fait référence, qui existe seulement en tant que trace d’un objet donné. Le procédé photographique argentique, l’empreinte digitale, la trace d’un pas dans la neige et la fumée sont tous des index, puisqu’ils ne peuvent exister sans le contact direct avec un autre objet – la lumière, le doigt, le pied, le feu. Dans l’Ontologie de l’image photographique, André Bazin poursuit cette réflexion sur l’index en affirmant que seul «l’objectif [de l’appareil photographique] nous donne de l’objet une image capable de ‘défouler’, du fond de notre inconscient, ce besoin de substituer à l’objet mieux qu’une décalque approximatif, [soit] l’objet lui-même, décalé des contingences temporelles» [3]. Cette rhétorique de la photographie comme trace objective a depuis été vertement critiquée, notamment avec l’arrivée en masse des appareils numériques dans les années 1980 et 1990, qui impliquent un autre genre de relation entre l’objet et sa représentation photographique. Par son utilisation de la photographie, Demand explore la relation complexe qui existe entre les objets et les images que nous créons à partir de ceux-ci, soulignant tour à tour notre perception de la photographie comme un médium du réel ainsi que notre critique de ce médium, qui module le réel par la construction et le cadrage.

Comment percevez-vous la photographie aujourd’hui? Croyez-vous qu’il s’agit toujours du meilleur médium pour documenter un évènement donné?

Pouvez-vous identifier d’autres types d’index utilisés en art contemporain ou dans d’autres domaines? Quels sont les rôles et les usages de ces signes indiciaires?

CONTENU
Mémoire
La mémoire est un concept fuyant, difficile à définir ou à circonscrire. Nous nous fions constamment à notre mémoire pour nous situer dans un temps ou un endroit donnés, dans une situation précise, alors qu’elle peut souvent nous tromper, nous dirigeant vers de fausses pistes, transformant la réalité en évènements fictifs et en narrations construites. Qui plus est, notre mémoire est presque toujours sélective – souvent sans qu’on s’en rende compte ou qu’on ne le veuille. Nous avons tous une mémoire personnelle rattachée à nos souvenirs, mais il existe aussi une mémoire collective qui provient de nos expériences en tant qu’individu faisant partie de diverses collectivités ou communautés. Ces deux aspects complémentaires de la mémoire sont abordés dans la pratique de Thomas Demand. Pour l’œuvre Yellowcake, l’artiste utilise ses propres souvenirs pour construire sa maquette de papier, se rappelant des pièces qu’il vient tout juste de visiter plutôt que de se fier à des photographies sources, des images qu’il aurait pu consulter en tout temps. Sa pratique investit tout autant notre mémoire culturelle collective, puisqu’elle explore la façon dont la culture visuelle agit sur la mémoire du grand public. Par exemple, Demand s’intéresse au fait que plusieurs images populaires, grandement diffusées et médiatisées, ont le potentiel de générer des souvenirs particuliers et précis, alors qu’elles ne sont ultimement que des représentations familières d’évènements qui ont été vécus à distance.

Pouvez-vous identifier d’autres exemples dans la sphère publique où il peut être problématique (pour soi-même ou pour les autres) de se fier à sa mémoire?

Comment associez-vous la mémoire au travail de Demand? Concentrez-vous sur l’aspect visuel de ses films et de ses photographies plutôt que sur l’aspect anecdotique (le lieu ou l’histoire). Son travail génère-t-il des souvenirs personnels pour vous? Qu’y a-t-il dans ces images qui activent particulièrement votre mémoire (l’objet en soi, l’architecture, l’environnement, la mise en scène, la couleur, le son, l’aspect général, etc.)?

COMPOSITION
Construction
Beatriz Colomina nous révèle que Thomas Demand conçoit les médias comme une architecture; il affirme que ceux-ci sont «comme un vaste paysage, une domaine virtuel avec ses villes de scandales, ses édifices érigés aux superstars et ses marécages de meurtres» [4|. Le point de départ du processus artistique de Demand consiste donc en l’exploration d’une première construction: l’architecture, constamment configurée et reconfigurée, des médias, espaces composés de sensations fortes, où le dévoilement spectaculaire de crimes politiques côtoie les hits de la radio populaire, et où la contamination virale d’images sur You Tube sert de prélude à la révélation d’assassinats de bas étage.

Réfléchissez à cette riche idée des «médias comme architecture», et à cette citation étonnante de Demand en lien avec cette idée, qu’est-ce que cela signifie pour vous?

Écrivez un texte de fiction où vous décrivez, selon la perspective d’un architecte, vos navigations quotidiennes sur Internet, vos lectures de revues et de journaux, vos marches dans la ville ou votre visionnement de la télévision. De quelle façon ce texte de fiction vous offre-t-il un éclairage nouveau sur les médias?

Spectateur assidu de l’architecture médiatique, Demand entreprend ensuite une deuxième construction: inspiré par une image qui frappe sa mémoire et son imagination, il recrée alors le lieu – et quelquefois l’événement – qui y sont associés en les transposant en assemblage5 de papier grandeur nature. Terminée, cette seconde construction sera alors photographiée ou filmée en animant ses éléments image par image. L’image fixe ou en mouvement sera l’œuvre d’art finale, et la construction de papier sera détruite. Ces nouvelles images retournent ensuite joindre l’architecture médiatique où elles ont pris naissance, à l’origine, sous une autre forme.

Réfléchissez au choix de Demand de reconstruire une image, un lieu ou un événement médiatique en assemblage de papier et de carton, pour ensuite le photographier ou le filmer, puis le détruire. De quelle façon, en faisant cela, l’artiste nous fait-il réfléchir à notre relation aux médias?

CONSIDÉRATIONS
Présence/Absence
Le bureau est vide, personne n’emprunte l’escalier mécanique ou n’utilise le mobilier, l’équipement semble fonctionner par lui même.

Les sujets des œuvres de Thomas Demand sont des environnements bâtis qui révèlent – à la fois dans leur première incarnation et dans leur reconstruction en maquettes – des couches multiples d’intervention humaine. Bien que la matérialité de ces modèles de papier et de carton se révèle à nous peu à peu après avoir passé du temps à scruter chacune des scènes photographiées, la quantité de détails présents dans chacune des images réussit tout de même à tromper notre regard, à nous rendre crédules. On se demande soudainement: où sont passés ces gens qui ont quitté toutes ces salles?

C’est avec un mélange de doute et de curiosité que nous tentons alors de comprendre qui sont ces ‘gens’ soudainement absents. Depuis quand sont-ils absents – quelques minutes, des heures, voire des années? Vont-ils revenir, et si oui, quand? Ont-ils complètement abandonné ces espaces? Ont-ils abdiqué toute responsabilité en ce qui concerne les évènements qui y ont eu lieu? Que s’est-il réellement passé dans ces salles?

D’une part, l’absence de personnages a le pouvoir de nous détacher du contexte initial où l’endroit photographié (et, in extenso, son image médiatisée) a pris place dans l’inconscient collectif. D’autre part, placés ainsi à distance des relations et décisions humaines qui ont attribué une importance culturelle et socio-politique à ces lieux représentés, nous sommes à même de créer nos propres narrations en lien avec ces environnements, ce qui nous rapproche de ceux-ci. Demand a d’ailleurs affirmé que l’absence de personnes dans ses photographies laisse plus de place à l’imagination de chacun des regardeurs.

«Je n’efface pas les gens; simplement, je ne les reproduis pas. Il s’agit plutôt de laisser des choses en dehors de l’image». Comment interprétez-vous ces paroles de l’artiste? À votre avis, quelle est la différence entre ces deux notions? Ces distinctions ont-elles un effet sur votre compréhension de la pratique de Demand ou de d’autres artistes contemporains?

Votre corps est appelé à bouger et à être projeté à travers les œuvres de Demand, un peu comme si vous habitiez les espaces photographiés. Comment décririez-vous la relation physique ou affective que vous développez avec ces environnements créés par l’artiste?

Il y a dans l’œuvre de Demand à la fois une présence humaine et une absence de personnages. Quels sont les signes qui évoquent cette dualité dans les œuvres? De quelle façon Demand laisse-t-il des traces de sa propre présence dans ces images?

En s’attardant aux images de l’artiste, notre perception du temps est déstabilisée, comme si nous avions à construire notre propre narration subjective pour accompagner l’espace vide que nous contemplons. Quels sont les autres stratégies utilisées par les artistes contemporains pour altérer notre perception de la temporalité dans une œuvre? Ces stratégies diffèrent-elles selon les médiums utilisés (danse, théâtre, arts visuels)?

[1] Veuillez noter que la série Concepts migratoires constitue le complément organique de Mouvements: http://dhcart.tumblr.com/ BAL, Mieke (2001). «Concept». Travelling Concepts in the Humanities: A Rough Guide. Toronto: University of Toronto Press.
[2] PEIRCE, Charles Sanders (1894). What is a Sign? En ligne. . Consulté le 18 décembre 2012.
[3] BAZIN, André (1958). «Ontologie de l’image photographique». Qu’est-ce que le cinéma? Paris: Éditions du Cerf.
[4] COLOMINA, Beatriz (2006). Thomas Demand. Catalogue d’exposition (Londres, Serpentine Gallery, 6 juin au 30 août 2006). Munich : Schirmer/Mosel.
[5] Œuvre à trois dimensions dans laquelle sont réunis divers matériaux ou objets hétérogènes (larousse.com).

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