Perle imparfaite: le baroque contemporain chez Jake et Dinos Chapman
Perle imparfaite: le baroque contemporain chez Jake et Dinos Chapman
DHC/ART Éducation a conçu le document pédagogique Mouvements: Jake et Dinos Chapman où quatre essais traitent de concepts clés contenus dans l’exposition Come and See: la réification, le grotesque/le carnaval, le baroque et la collaboration. Cette semaine nous explorons le troisième volet de cette série: la composition baroque.
Intensité, ferveur dramatique, tension; voici quelques caractéristiques du baroque qui sont investiguées dans les œuvres de Jake et Dinos Chapman. En alliant de manière extravagante horreur, humour et avoir-faire technique avec une dose de commentaire social, le travail provocateur des Chapman incorpore l’essence du baroque tel qu’il se définit depuis le 17e siècle [1]. Cette esthétique basée sur l’excès et la confrontation se remarque dans le choix des sujets, dans la démarche des artistes, dans les matériaux sélectionnés ainsi que dans l’échelle des œuvres.
Le bronze, le bois, la laine et les techniques numériques, sans compter le carton et la peinture, sont quelques-uns des matériaux avec lesquels les frères Chapman expérimentent. Leur traitement de ces matières est parfois précis et méticuleux, parfois intentionnellement et effroyablement juvénile. Dans Shitrospective, les Chapman recréent une sélection de leurs œuvres des vingt dernières années en utilisant des matériaux fragiles et vulnérables, à l’aspect vulgaire et pathétique. Dans cette proposition teintée d’humour, leurs œuvres puissantes et provocantes sont transformées en innocentes découpures de carton.
Dans Sum of All Evil, certaines des atrocités les plus immondes, incarnations de tout ce qui est immoral et inhumain, sont réduites en de minuscules décors et figurines. Le miniature, un format que l’on associe généralement à la candeur et au ludique, laisse voir un jeu sordide et cyclique où défilent mort et torture. Notre point de vue privilégié nous laisse voir tous les détails des figures repoussantes et des scènes moroses du diorama. Nous nous trouvons à l’extérieur de la vitrine; nous sommes effectivement mis à distance de leur misère et de leur tourment. Toutefois, pour bien voir le travail des Chapman, nous sommes dans l’obligation d’entretenir une relation de proximité spatiale, du moins) avec l’œuvre. Une fois près de l’œuvre, nous sommes pris au dépourvu par de gigantesques jambes poilues et répugnantes (celles de Dieu, apparemment), comme deux colonnes gargantuesques qui surplombent la scène. Excentrique et conflictuel à tous égards, le «baroque contemporain» est présent et florissant dans les mondes excessifs créés par Jake et Dinos Chapman.
L’étymologie du mot «baroque» provient de l’espagnol «barroco», qui signifie «perle imparfaite». Quelle est la signification de ce terme? À quels égards cette expression peut-elle être utilisée pour décrire le travail des Chapman?
Plusieurs œuvres des Chapman dans Come and See établissent un rapport puissant (et parfois dérangeant) entre le choix des matériaux et le sujet des œuvres. Little Death Machine (castrated, ossified), par exemple, est faite de bronze, puis peinte. Pourquoi les Chapman ont-ils choisi de couvrir leurs sculptures de bronze avec de la peinture? Quelles autres œuvres proposent un certain dialogue via le type de matériaux choisis?
À propos de l’outil Mouvements:
L’outil Mouvements est conçu par DHC/ART Éducation afin d’encourager les visiteurs à développer en profondeur certaines idées clés explorées par l’exposition Come and See. Dès que des participants utilisent Mouvements, les concepts proposés par les éducateurs de DHC/ART se partagent peu à peu entre eux via leur force d’évocation et de résonance; s’ouvrent ainsi des pistes de réflexion communes autour des œuvres et de l’exposition. Avec le temps, ces concepts migratoires voyagent, s’enrichissent et se transforment, ils inspirent à tous et chacun d’autres idées qui constitueront de nouvelles contributions aux conversations sur l’art.
Mouvements nous rappelle également que l’expérience esthétique s’adresse tout autant à notre corps — à tous ses sens et à ses mouvements — qu’à notre intellect. Les mouvements physiques de notre corps sont intimement liés à ses mouvements émotifs et affectifs. Nos déplacements dans l’espace d’exposition éveillent nos sens. Au rythme de nos trajectoires et de nos jeux avec les différentes perspectives, notre vision devient mobile elle aussi: les images prennent forme alors que notre mémoire et notre imagination sont touchées, un paysage visuel se structure peu à peu. À l’aide de ce document, nous vous invitons à plonger tout entier — esprit et corps — dans les expositions de DHC/ART afin de développer une compréhension riche et dynamique de celles-ci.
[1] BALDISSERA, Lisa et Lee HENDERSON (2009). Peculiar Culture: The Contemporary Baroque, Luanne Martineau, Jake and Dinos Chapman. Victoria: Art Gallery of Greater Victoria. Nous reformulons et traduisons.
Photo: Jake et Dinos Chapman. The Sum of All Evil. Détail. 2012-2013. Avec le concours de White Cube.