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Date et heure
Mercredi 9 octobre 2013

Ce texte fait partie de la série Concepts Migratoires

Tel que le mentionne David J. Getsy, l’histoire de l’art moderne et contemporain a souvent été racontée en mettant en lumière son caractère de recherche soutenue et sérieuse; ses innovations dues, semblerait-il, à l’adoption de la méthode scientifique par une majorité d’artistes de l’avant-garde. Plus rarement fait-on état de l’attitude ludique de plusieurs artistes majeurs qui, dès le début du XXe siècle, s’engagent dans la voie du jeu, du ‘non sérieux’ et de l’exploration animée en tant que forces subversives et critiques [1]. Cory Arcangel est le digne héritier de ce courant.

Il est vrai que les œuvres d’Arcangel proposent un retour vers l’époque de l’adolescence, mais également, tout comme l’ont remarqué plusieurs participants à mes visites interactives, bon nombre nous ramènent à un temps encore plus lointain : celui de la petite enfance. Car adopter l’attitude ludique, pour un artiste ou un spectateur, c’est être en mesure, entre autres, d’opérer un retour vers le rapport au monde que nous avions étant jeune enfant; un moment où la perception hors-langage est plus éveillée et signifiante, où les frontières entre le réel et l’imaginaire deviennent plus poreuses et où nos différents sens s’entremêlent pour nous permettre une interaction très vivante avec notre environnement. Revendiquer pour l’adulte la possibilité de récupérer ce type d’épistémologie tactile et somatique propre aux débuts de son existence constitue un geste fort, critique et éthique.

Le thème de la couleur est intéressant à explorer à cet effet. Il se retrouve en force dans l’oeuvre Colors (2006) qui fait référence au film policier du même nom réalisé en 1988 par Dennis Hopper, un film ayant pour thèmes la vie des gangs de Los Angeles, les relations raciales et le rapport entre les forces de l’ordre et celles des hors-la-loi. Arcangel a transformé le film de façon telle qu’il est projeté une ligne horizontale de pixels à la fois, chaque pixel allongé en une file ligne verticale jusqu’en bas de l’image. Il est résulte une abstraction à bandes verticales, constamment en mouvement, qui pulse et fait miroiter une large palette de couleurs. Plusieurs critiques associent cette œuvre à la période moderniste en peinture, moment de l’abstraction géométrique et du Color Field.

Toutefois, la couleur dans cette œuvre peut se penser en dehors de ces références appartenant à l’Histoire de l’art officielle. Dans A Child’s View of Colour [2], Walter Benjamin affirme que: ‘The rainbow is a pure childlike image’. Il continue:

«Children like the way colours shimmer in subtle, shifting nuances (as in soap bubbles), or else make definite and explicit changes in intensity, as in oleographs, paintings, and the pictures produced by decals and magic lanterns. For them colour is fluid, the medium of all changes (…). Their eyes are not concerned with three-dimensionality, this they perceive through their sense of touch» (p. 63)

Concevoir la couleur selon cette perspective nous fait prendre conscience de son caractère interdisciplinaire, de sa nature polymorphe et de sa riche fluidité, aussi, cela nous éveille à la façon dont elle transgresse les frontières conventionnelles pour créer des espaces immersifs d’ambiguïté.

Marie-Hélène Lemaire
DHC/ART Éducation

[1] GETSY, David, J. (Ed.) (2011). From Diversion to Subversion. Games, Play and Twentieth-Century Art. Pennsylvania : The Pennsylvania State Press.
[2] BENJAMIN, W. (1914-15). A Child’s View of Colour. In BATCHELOR, D. (2008). Colour. Collection Whitechapel Documents of Contemporary Art. Cambridge : MIT Press.

Photo: Emily Keenlyside

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