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Architectures patriarcales

Date et heure
Jeudi 29 novembre 2018

Architectures patriarcales

L’outil Mouvements: Jasmina Cibic est conçu par DHC/ART Éducation afin d’encourager les visiteurs à développer en profondeur certaines idées clés explorées par l’exposition Jasmina Cibic: Everything That You Desire and Nothing That You Fear.

Considérations: Patriarcat

Certaines spécialistes des études féministes définissent le patriarcat comme une notion seuil [1] (threshold concept): lorsqu’on la comprend, on prend conscience de la manière dont elle structure tous nos rapports sociaux. Allan G. Johnson détermine qu’«une société est patriarcale dans la mesure où elle est dominée et identifiée par les hommes, et centrée sur eux» et qu’elle «opprime les femmes [2]». Pour sa part, bell hooks définit le patriarcat comme une forme d’«obéissance aveugle», caractérisée par «une destruction de la volonté individuelle et la répression de toute pensée qui ne cadre pas dans la façon dont s’exerce l’autorité [3]».

La violence sournoise du patriarcat vient de son intégration pernicieuse dans toutes les sphères de nos vies. Cela ne veut pas dire que les femmes, dans une société patriarcale, sont invisibles ou absentes. Plutôt, l’existence même des femmes est modulée par des critères qui sont mis en place par des hommes et qui circonscrivent leur capacité à agir de manière libre. La figure féminine dans les œuvres de Jasmina Cibic se forme autour des pressions patriarcales. L’artiste révèle les façons dont le sujet féminin a été instrumentalisé à des fins politiques et esthétiques au fil de l’histoire: pensons à l’archétype de la mère-nation, qui relègue à la femme la responsabilité d’incarner le symbole fédérateur d’un pays.

L’œuvre de Cibic montre aussi que le modernisme architectural [4] est à la fois l’instrument et le symptôme de cette force patriarcale: conçu généralement par et pour le sujet masculin, il efface le travail des femmes et transforment ces dernières en objets dans ces architectures [5]. Dans certaines des vidéos de Cibic, on voit des palais et des hôtels de ville, lieux où se détermine et s’exerce le pouvoir masculin. Ceux-ci sont réinvestis pour faire place à des paroles et des gestes féminins, qui rejouent le matériau de la politique pour en révéler l’aspect préformaté.

Alors que l’architecture publique devient un lieu où les décisions se prennent entre hommes, l’architecture privée est conçue comme un écrin, un carcan ou une cage pour les femmes. C’est le cas de la maison qu’Adolf Loos a imaginée pour Joséphine Baker, évoquée par Cibic dans une de ses sculptures: Loos place au centre de la maison une piscine, autour de laquelle des fenêtres vitrées proposent aux visiteurs de la maison des points de vue privilégiés sur Baker durant la baignade [6]. Jusque dans les recoins les plus intimes de sa demeure fantasmée par Loos, le corps de Baker est soumis au regard, offert en spectacle.

Notez une autre occurrence des figures féminines dans les œuvres de Cibic présentées à la Fondation. De quelle manière ces femmes sont-elles présentées? Que leur donne-t-on à dire ou à faire? Quels sont les discours critiques sous-jacents à leurs apparences, gestes et paroles?

Le patriarcat est une notion qui nous touche tous et toutes au quotidien, bien qu’elle soit difficile à définir succinctement. Proposez une définition personnelle du patriarcat. Quelles en sont les répercussions dans votre vie de tous les jours? Partagez vos points de vue avec vos proches sur le sujet. Avez-vous tiré les mêmes conclusions ou relevé des exemples similaires?

Daniel Fiset
DHC/ART Éducation

[1] Voir HASSEL, Holly et. al. (2011). «Surfacing the Structures of Patriarchy: Teaching and Learning Threshold Concepts in Women’s Studies». International Journal for the Scholarship of Teaching and Learning, vol. 5, no. 2. En ligne. https://digitalcommons.georgiasouthern.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1303&context=ij-sotl. Consulté le 26 septembre 2018.
[2] JONHSON, Allan G. (1997). The Gender Knot: Unraveling our Patriarchal Legacy. Philadelphie: Temple University Press, pp. 153.
[3] hooks, bell (n.d.). Understanding Patriarchy. En ligne. https://imaginenoborders.org/pdf/zines/UnderstandingPatriarchy.pdf. Consulté le 26 septembre 2018.
[4] L’architecture moderniste émerge au début du 20e siècle et se caractérise par un rejet de «toute forme de passéisme, que ce soit dans la symétrie des compositions, dans l’utilisation d’ornements empruntés aux monuments des siècles précédents ou dans l’emploi de matériaux traditionnels», auquel on préfère des techniques de construction novatrices inspirées des développements industriels et des «nouveaux matériaux produits à grande échelle, comme l’acier et le béton». Pour des exemples d’architectures modernistes, voir DUBOIS, Martin (2008). «Modernisme architectural: Simplicité volontaire». Continuité, no. 119, pp. 51-54. En ligne. https://www.erudit.org/fr/revues/continuite/2008-n119-continuite1055693/17331ac.pdf. Consulté le 26 septembre 2018.
[5] C’est le cas de plusieurs architectes, designers et artistes dont le travail a été rendu invisible par leurs collaborations avec des hommes, comme Lily Reich, proche collaboratrice de Mies van der Rohe.
[6] SLESSOR, Catherine (2018). «Loos and Baker: A House for Josephine». Architectural Review. En ligne. https://www.architectural-review.com/essays/loos-and-baker-a-housefor-josephine/10028604.article. Consulté le 26 septembre 2018.

Photo: Jasmina Cibic, Nada: Act III (extrait), 2017.

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