Rire(s) avec Currin
Rire(s) avec Currin
En fréquentant les quatre salles de la fondation dédiées à l’exposition de John Currin, un constat s’impose: l’œuvre du peintre provoque de vives réactions. Précisément, les toiles de l’artiste ont la propension de nous faire rire, qu’il s’agisse d’un sourire à peine esquissé, d’un rire timide devant certaines scènes plus osées ou d’un petit groupe qui s’esclaffe devant les toiles, comme s’ils étaient tous dans le secret d’une blague privée.
Nous dirions d’abord si l’humour s’y trouve, c’est bien parce que Currin a pris soin d’en faire un aspect central de son œuvre, tant dans le rendu que dans le processus; les emprunts à la tradition comique sont multiples et évidents. Ici, le rire éclate devant la liberté d’un artiste qui choisit de jouer dans et avec la peinture, qui se plaît à défaire les conventions du bon goût et qui conçoit son œuvre comme un espace ludique appelé à renverser et déstabiliser le regardeur. C’est aussi l’incongruité dans le croisement des références qui amuse, dans des toiles où les nus antiques croisent les starlettes de la pornographie et les photographies de catalogue rejoignent les grands maîtres de la peinture occidentale, où toutes les représentations, posées sur le même pied d’égalité, entrent en dialogue.
L’artiste arrive aussi à nous faire rire noir; c’est l’humour du grotesque, du monstrueux et de l’absurdité dans la représentation, qui trahit un regard quelque peu sévère du peintre sur la condition humaine. Chez Currin, hommes et femmes se trouvent métamorphosés, déguisés, costumés, dans une étrange parade qui semble évoquer la matérialité de cette chair offerte en peinture. Ce sont des bras allongés, des tailles affinées, des yeux globuleux ou noircis, des visages émaciés et tortueux, des seins hypertrophiés qui sont offerts à notre regard, comme autant de corps que l’artiste s’amuse à torturer et à représenter.
Inévitablement, l’œuvre de Currin, qui nous ramène à ces grandes oppositions qui caractérisent et modulent notre société – la beauté et la laideur, le masculin et le féminin, la jeunesse et la vieillesse – nous fera rire jaune. Y sont illustrées, non sans ironie, les grandes contradictions de notre époque, condensées en peinture, devant lequel le spectateur est appelé à se resituer constamment. C’est peut-être, au fond, ce rire du malaise qui est le plus significatif dans son travail: il force à réfléchir et, l’instant d’une visite, à considérer la véritable étrangeté du monde dans lequel nous vivons.
Daniel Fiset
DHC/ART Éducation
*Ce billet reflète le point de vue de l’auteur et non celui de DHC/ART.
John Currin, The Wizard, 1994, photo: Richard-Max Tremblay