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Consommer le discours: la marchandisation et l’œuvre de Wim Delvoye

Date et heure
Vendredi 16 décembre 2016

Consommer le discours: la marchandisation et l’œuvre de Wim Delvoye

L'outil Wim Delvoye: Mouvements est conçu par l'équipe de DHC/ART Éducation afin d'encourager les visiteurs à développer en profondeur certains concepts clés explorés par l'exposition Wim Delvoye. Ces concepts sont la marchandisation, la torsion, l'ornement et le sacré/profane.

Contexte: Marchandisation

Le travail de Wim Delvoye est ancré dans les préoccupations post-modernistes de la fin du 20e siècle propres à sa génération, telles que le questionnement critique de la notion d’auteur et la marchandisation de l’art. Par les stratégies complémentaires de dislocation et d’altération [1] il a, depuis plus de 20 ans, démantelé les fausses dichotomies, mis au défi les hiérarchies esthétiques et interrogé la valeur sociale, culturelle et monétaire des images et des objets. Delvoye a maintenant atteint un tel succès critique et commercial que son travail compte parmi les plus reconnus dans le champ de l’art contemporain.

Le géographe marxiste David Harvey affirme que les garanties d’unicité et d’authenticité qui entourent les objets culturels vénérés «sont tout autant le résultat de constructions et de luttes discursives qu’elles sont ancrées dans le fait matériel [2]». En d’autres termes, un branding réussi repose autant sur le choix attentif de certains mots que sur la provenance, les matériaux et la qualité d’un objet. Dans cette optique, propre à la pratique de Delvoye est l’ampleur de sa participation, pro-active, avertie et pleinement intégrée à son art, à construire un discours sensationnaliste au sujet de ses œuvres. L’appropriation de logos iconiques, la création d’options sur actions et la production de marchandises y étant liées représentent certaines stratégies que Delvoye utilise afinde simultanément révéler les absurdités du marché de l’art et en tirer profit.

Delvoye est bien connu pour sa manière d’investir les systèmes mêmes qu’il expose. Ses projets passés de grande envergure – à l’image des petites entreprises commerciales – comprennent Cloaca (2000–2009), qui compte 10 éditions d’une machine qui produit des matières fécales et qui est vouée à pénétrer le marché de l’art, ainsi que Art Farm (2004–2008), sa ferme basée à Beijing où il a élevé et tatoué un troupeau de cochons, dont les peaux étaient réservées à l’avance par des collectionneurs prévoyant leur valeur future. Via la création et la croissance (littérale et monétaire) d’œuvres fétichisées et commercialisables, Delvoye s’est approprié une pratique relativement courante auprès des tatoueurs, celle de pratiquer leur art sur des peaux de cochons, et l’a menée à un tout autre degré.

L’auteure Sarah McFadden affirme: «Qui achèterait une telle chose? Des institutions en mal d’art intelligent et des collecteurs privés résolus à faire des investissements astucieux, même si cela implique d’acheter des œuvres dont la substance même crie “sale capitaliste”. La marque de l’artiste transforme cette insulte en flatterie, la rendant chic et éhontée, et c’est justement l’argument que celui-ci cherche à faire [3]». Delvoye affirme: «Ma ferme d’art, Art Farm, joue avec cette métaphore capitaliste glorieuse d’élever des peintures [comme des animaux]. Je n’ai jamais entendu parler d’un collectionneur qui se rue vers une exposition d’art parce que le prix des peintures était en baisse. Même le collectionneur le plus noble, qui se conçoit comme un musée, spécule d’une manière ou d’une autre. S’il ne spécule pas pour une valeur monétaire, il spécule très certainement pour une valeur sociale et symbolique [4]». Du coup, Delvoye se sert du caractère inévitable de la spéculation à la fois pour le contenu de ses œuvres et la promotion de celles-ci, nous laissant l’esprit empli d’incertitudes et de questionnements quant aux forces complexes qui définissent la création, la distribution et, ultimement, la consommation de l’art.

L’auteure Aurélie Bousquet suggère «qu’en plus d’être un entrepreneur, Wim Delvoye est aussi une marque [5]». De quelle manière comprenez-vous cette affirmation?

À votre avis, quelles sont les avantages et les contradictions potentielles de travailler avec le système même qui est le sujet de votre critique et dont vous profitez?

Emily Keenlyside
DHC/ART Éducation

[1] MOSQUERA, Gerardo (2016). «Subversive Beauty». Wim Delvoye. Catalogue d’exposition (Téhéran, Museum of Contemporary Art, 07/03/2016 – 13/05/2016). Téhéran: Museum of Contemporary Art Press.
[2] HARVEY, David (2002). «The Art of Rent: Globalization, Monopoly and the Commodification of Culture». Socialist Register, vol. 38, pp. 93-110.
[3] MCFADDEN, Sarah (2010). «Gothic Mischief». The Bulletin (octobre). En ligne. https://www.wimdelvoye.be/medialibrary/38eee627-f9ca-312c- afed-3748ae14c150.pdf?download=true. Consulté le 17 novembre 2016.
[4] ENRIGHT, Robert (2005). «Wim & Vigor. An Interview with Wim Delvoye». Border Crossings, vol. 24, no. 4, pp. 21-34.
[5] BOUSQUET, Aurélie (2010). «Wim Delvoye, super entrepreneur». En ligne. https://www.wimdelvoye.be/medialibrary/0e3a7d67-8174-34cd-a38a- 32025fd2803d.pdf?download=true.

Photo: Wim Delvoye, All-American Girl, 2005-2006. Peau de cochon tatoué. Avec l’aimable permission de l’artiste.

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