Soleil noir, gouffre blanc: la mélancolie dans Hisser d’Ed Atkins
Soleil noir, gouffre blanc: la mélancolie dans Hisser d’Ed Atkins
L'outil Ed Atkins: Mouvements est conçu par l'équipe de DHC/ART Éducation afin d'encourager les visiteurs à développer en profondeur certains concepts clés explorés par l'exposition Ed Atkins: Modern Piano Music. Ces concepts sont le liquide, la mélancolie, le texte et le corps/violence.
Contenu: Mélancolie
... D’où vient le soleil noir de la mélancolie? De quelle galaxie insensée ses rayons invisibles et pesants me clouent-ils au sol, au lit, au mutisme, au renoncement? D’où s’ouvrent ce gouffre de tristesse, cette douleur incommunicable qui nous absorbe parfois, et souvent durablement, jusqu’à nous faire perdre le goût de toute parole, de tout acte, le goût même de la vie (...)?
Julia Kristeva, La traversée de la mélancolie, 2001
INT. CHAMBRE - NUIT - HISSER, 2015 - ED ATKINS
Pleine lune. On ouvre sur un écran de télévision allumé déposé au sol, dans une chambre d’une maison de banlieue qui évoque celle d’un adolescent. À l’écran: le vide blanc, luminescent. Aux murs, une affiche terriblement banale, Tournée du Chat noir de Théophile-Alexandre Steinlen, puis une autre affiche, une tête de loup, dessous, nous pouvons lire «No fear», puis une autre, un chaton qui s’accroche à une branche: «Hang in there». La caméra glisse sur une bibliothèque, notre œil s’arrête sur un livre de croissance personnelle, une quête d’amour: Find the Love of Your Life After Fifty! Confusion: chambre d’adolescent ou d’homme mûr? Un retour vers quelque chose de perdu?
Nous traversons l’écran et entrons dans cet espace blanc infini: une minuscule figure masculine nue y erre: il marmonne, siffle, balbutie: Je crois que je n’ai plus rien à dire... oui, je crois bien ne pas savoir quoi dire... je ne sais pas quoi dire... Je suis désolé... désolé... désolé... Je ne savais pas, je ne savais pas [1]... Dérouté, il disparaît dans cette blancheur, puis dans un nuage de fumée grise.
CUT TO - Le voilà dans la chambre, gigantesque, dans le lit de l’enfant, en train de rêver. C’est un avatar endommagé, la peau du visage couverte de contusions. Étrange... une oreille sculptée au mur, à côté du lit: un espoir d’être écouté? Il grommelle dans son sommeil troublé: Lorsque nous étions... nous étions... étions... des loups. Fuck it! Souffle de fumée noire.
La chambre est vide. La caméra s’éloigne. La chambre devient décor de poupée. Un mouvement vers le bas s’enclenche, grincements évoquant un ascenseur. La chambre fuit vers le bas, descente vers l’abîme. Elle se démultiplie et ne cesse de sombrer, toujours plus vite. Une chambre vide qui s’enfonce, s’enfonce, sans cesse. Nuit sans fin.
CUT TO - L’avatar couché sur le lit, chantant à la lune: Je ne savais pas, j’étais endormi, je ne savais pas, je suis allé trop loin... au fond, cela m’a pris tellement de temps...
CUT TO - L’avatar couché sur le sol, presque fœtus, chantant: Je ne savais pas, sa vie était si triste, j’ai pleuré...
CUT TO - L’avatar, assis sur le sol, le dos voûté, devant l’écran de télévision blanc, regarde carte noire après carte noire...
Retour à la chambre vide, elle tremble, violemment, tout se casse, décor de carton, fleurs de carton, CGI. Toutes lumières éteintes, il ne reste que le reflet de la lune, puis tout est noir. Un poing perce le mur.
Vue d’oiseau. Chambre de carton, avatar de carton, minuscule, dans le lit. Tout est avalé par un trou noir, un vortex de rayons blancs, tout s’accélère, puis un océan-CGI.
NOIR.
Dans les œuvres d’Atkins, les émotions ne sont pas simplement des états psychologiques vécus à l’intérieur de l’être, elles se matérialisent via les gestes, les mouvements, les paroles et l’apparence du corps des avatars, en relation avec différents espaces. Pouvez-vous discuter de la manière dont cela se manifeste dans les œuvres de l’exposition?
Les œuvres d’Atkins nous plongent dans le sentimental, l’émotif, le corps. Choisissez une œuvre de l’exposition et répondez à celle-ci par un texte expérimental et poétique. Qu’est-ce que cela vous apporte?
Marie-Hélène Lemaire
DHC/ART Éducation
Image: Ed Atkins, image fixe tirée de Hisser, 2015. Projection vidéo avec son multicanal 5.1. Avec l’aimable permission de l’artiste et de Gavin Brown's enterprise, New York/Rome.