Regards échangés: Entrequatreyeux à Come and See
Regards échangés: Entrequatreyeux à Come and See
L’été est maintenant bien amorcé à DHC/ART Éducation et c'est l'occasion pour nous de collaborer à nouveau avec le camp de photographie Entrequatreyeux. La visite des jeunes campeurs dans l’exposition Come and See de Jake et Dinos Chapman constitue un beau moment pour réfléchir à diverses notions fondamentales en philosophie et en art contemporain. Le caractère ouvert, expérimental et ambigu de l’art des Chapman est élaboré dès le départ, invitant ainsi chaque jeune à exprimer sa perspective unique sur les œuvres. Les bannières World Peace Through World Domination (2013), où l’on retrouve le célèbre ‘bonhomme sourire’, cette fois blanc (livide) sur fond noir, nous amènent à explorer la part d’ombre derrière les smileys de Walmart, des Happy Meals et des émoticônes. On peut aussi y voir un regard lucide et sans pitié sur le Culte du bonheur qui règne sur nos sociétés occidentales.
Crédit photo: Marie Vallières
Entrequatreyeux
Les œuvres Free Willy (2012) et Kontamination examination of the significunt material related to human eXistenZ on earth (2009) permettent une réflexion sur l’appropriation et l’assemblage, concepts majeurs en art contemporain. On inscrit alors les oeuvres des Chapman dans l'histoire de l'art en discutant de la façon dont les artistes Dada et surréalistes, au début du XXe siècle, ont refusé les techniques académiques de sculpture pour oser créer des sculptures à partir d'assemblages d’objets trouvés, objets du quotidien non destinés à constituer une matière artistique. La notion de provocation est aussi partout dans l’exposition: non seulement via les symboles tabous qui sont appropriés puis détournés par Jake et Dinos Chapman (tel que le symbole du Ku Klux Klan qui s’incarne via des mannequins à l'échelle humaine dangereusement à proximité des visiteurs dans l'espace d'exposition), mais aussi via le caractère non fini, indéterminé et apparemment bricolé de plusieurs objets et par l'entremise des stratégies esthétiques de saturation, de prolifération et de transgression adoptées par les artistes.
Les peintures de la série Idiotidyll (2013) proposent un autre type d'appropriation. Fascinés par la culture visuelle des cahiers à colorier et des images 'reliez les points, faites un dessin', les frères Chapman refusent, bien sûr, de suivre les règles de ces jeux. Par toutes sortes de gestes de fragmentations, de superpositions et de destructions, les artistes transforment ces images préformattées pour leur conférer une tonalité beaucoup plus sombre et pour les rendre plus complexes et énigmatiques, où il est difficile de cerner exactement ce qu'on a sous les yeux. Aussi, par cette nouvelle imagerie, nous sommes transportés à l'origine des contes pour enfants, époque où ceux-ci étaient beaucoup plus noirs et monstrueux que les contes de notre époque contemporaine, appropriations édulcorées de Walt Disney.
La série The Chapman Family Collection donne à voir des sculptures supposément collectionnées par la famille élargie des Chapman durant plusieurs décennies et issues des anciennes colonies africaines de la Grande-Bretagne. Toutefois, le visiteur réalise rapidement que cette histoire est fictive car on devine, au 2e regard, que ces objets qui évoquent un style africain portent aussi la marque de symboles de McDonald. On comprend ainsi que ces objets sont créés de toutes pièces par les artistes. Ces oeuvres soulèvent alors de nouvelles questions sur une autre forme d'appropriation, négative cette fois-ci, qui a marqué l'époque coloniale: celle des artistes modernes, au début du XXe siècle, de l'art africain qu'ils qualifiaient de 'primitif' et celle des musées occidentaux qui ont pillé massivement la culture matérielle des peuples colonisés pour la conserver et l'exposer selon la perspective du colonisateur, sans aucun égard pour son contexte d'origine.
Crédit photo: Marie Vallières
Entrequatreyeux
Après la visite, les jeunes campeurs participent à un atelier de création conçu de façon collaborative entre les éducateurs d'Entrequatreyeux et ceux de DHC/ART. Lors de cet atelier, les jeunes explorent à nouveau les notions d'appropriation, d'assemblage et de provocation, via cette fois-ci un collage élaboré sur un portrait plein pied d'eux-mêmes. Ils feuillettent, choisissent, découpent, assemblent et collent toutes sortes de fragments tirés de notre culture visuelle actuelle, explorée dans de multiples revues, et greffent ceux-ci à l'image de leur propre corps. Ils découvrent ainsi qu'il est possible pour eux d'adopter une perspective subversive et critique sur notre paysage visuel contemporain via des manipulations ludiques d'assemblages photographiques.