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La pensée anthropophage: une esthétique de l’appropriation et de l’absorption pour l’art contemporain brésilien

Date et heure
Mercredi 18 novembre 2015

La pensée anthropophage: une esthétique de l’appropriation et de l’absorption pour l’art contemporain brésilien

L’outil pédagogique IMAGINE BRAZIL: Mouvements est conçu par l’équipe de DHC/ART Éducation afin d’encourager les visiteurs à développer en profondeur certains concepts clés explorés par l’exposition IMAGINE BRAZIL. Ces concepts sont l’anthropophagie, le quotidien, l’hétérogénéité et l'espace. Cette semaine nous présentons le premier essai de la série qui explore la notion d’anthropophagie.

Contexte: Anthropophagie

Le concept d’anthropophagie a été développé pour la première fois par le poète brésilien Oswald de Andrade en 1928 dans son Manifesto antropófago. En lien avec ce manifeste, six ans auparavant, la Semaine d’Art Moderne avait lieu à São Paulo, événement artistique d’avant-garde de poésie, de littérature, de musique et d’arts visuels, qui marquait l’émergence du modernisme brésilien. Le récit poétique radical de Andrade fait allusion au cannibalisme, inspiré d’un rituel qui était pratiqué par les Tupinambas [1], afin d’imaginer les manières dont la culture brésilienne peut développer son identité distincte via un processus d’absorption et de dévoration symboliques de la culture dominante du colonisateur.

Bien que développée en 1928, cette notion d’anthropophagie représente toujours un repère important pour les artistes brésiliens contemporains qui usent de stratégies de réappropriation et de déconstruction critiques dans leur travail. Pour de Andrade, les corps anthropophages ne s’arrêtent pas à la peau; ils sont forces et intensités, capables de s’ouvrir et de se plier pour ingérer l’Altérité. Ils se laissent ainsi déstabiliser et marquer par celle-ci, dans un brassage chaotique de sensations, afin de créer un nouvel hybride. S. Rolnik considère que la «subjectivité anthropophage» se développe via «une dévoration irrévérencieuse et critique d’une altérité qui est toujours multiple et variable» et qu’elle se définit par le refus d’une identification absolue et stable avec un quelconque répertoire, ainsi que par la plasticité de ses contours et par une grande fluidité capables d’incorporer de nouveaux univers [2].

Pour sa part, B. J. Vinkler théorise l’espace anthropophage imaginé par de Andrade en faisant appel aux idées de J. Kristeva autour du potentiel révolutionnaire du langage poétique [3]. Selon cette dernière, l’être de la marge peut faire éclater son rôle fixe et prédéterminé dans l’ordre social patriarcal via l’exercice du langage poétique. Le langage prélogique, fluide, déstructuré et musical du poétique – associé au féminin – vient s’approprier le discours dominant du patriarcat, formel, logique, organisé, pour le décomposer, le subvertir et le revitaliser [4]. Le Manifeste anthropophage explore les relations entre ces deux espaces.

L’œuvre picturale de Thiago Martins de Melo crée toute une mythologie mettant en scène sa femme, lui-même, d’autres humains, des animaux, des dieux, des monstres. Ces mondes utopiques sont férocement critiques du pouvoir, sous toutes ses formes, qui mine la culture brésilienne. Faites dialoguer ces mondes avec la mythologie du Manifeste anthropophage, qui s’inspire des divinités des Tupinambas.

Dans son œuvre Folds, Adriana Varejão s’approprie les tuiles azulejos qui recouvrent les immeubles au Brésil et qui sont importées de la puissance coloniale portugaise. Ces dernières craquent sous la pression d’un corps aux entrailles exposées. Comment cette œuvre participe-t-elle au projet anthropophage?

DHC/ART Éducation

[1] Suely Rolnik, «Avoiding False Problems: Politics of the Fluid, Hybrid, and Flexible,» e-flux journal 25 (2011) : 1.
[2] Idem, 3-4.
[3] Beth Joan Vinkler, «The Anthropophagic Mother/Other: Appropriated Identities in Oswald de Andrade’s ‘Manifesto Antropófago’,» Luso-Brazilian Review 34, 1 (1997) : 105-111.
[4] Julia Kristeva, La révolution du langage poétique (Paris : Édition du Seuil, 1974).

Photo: Tunga, The Bather (détail), 2014. Fer, acier, résine, céramique, plâtre, papier coton. 220 x 150 x 150 cm. © Tunga, avec la permission de l’artiste et de la galerie Luhring Augustine, New York.

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