La peinture est multiple
La peinture est multiple
Par Daniel Fiset
L’outil Mouvements: RELATIONS est conçu par l’équipe de l’éducation à la Fondation PHI afin d’encourager les visiteurs à développer en profondeur certains concepts clés explorés par l’exposition RELATIONS: la diaspora et la peinture.
Cet article est complémentaire à la vidéo Mouvements: RELATIONS – Capsule «Peinture» narrée par Daniel Fiset.
Tentant de dresser un portrait de la scène artistique internationale, plusieurs critiques ont avancé l’hypothèse d’un énième retour à la peinture en art contemporain. Les peintres ont soudainement droit à des expositions majeures annoncées en grande pompe, en plus de profiter d’une place de choix dans les médias, dans les foires et dans les biennales. Ce retour, qu’on observe à peu près toutes les décennies depuis les années 1980, en dit plus sur la manière dont le milieu de l’art continue à légitimer les œuvres qu’il produit que sur la peinture en elle-même. Ce retour indique les lieux où se confirme à différents égards la valeur d’une œuvre d’art: le musée, le marché, la presse spécialisée. Il signale aussi que l’histoire de l’art s’est formée en opposant des pratiques pour mieux les définir: on a pensé la peinture en la confrontant à la sculpture, au dessin, à la photographie, à la performance.
Manuel Mathieu, Imaginary Landscape, 2020
Acrylique, craie, fusain, ruban, poussière, silicone
190,5 × 172,7 cm
Avec l’aimable permission de l’artiste
Ce «retour de la peinture» est trompeur, puisque celle-ci ne s’est jamais vraiment absentée: il suffit de voir la grande variété des pratiques picturales depuis la deuxième moitié du 20e siècle, dont certaines font leur entrée au musée après qu’on les eut boudées pendant des décennies. Ajoutons à cette variété l’intérêt maintenu par les publics de l’art pour la peinture. Pourquoi demeure-t-elle centrale à notre compréhension des arts visuels? S’agit-il du fait que les conventions de la peinture sont maîtrisées, et que cette maîtrise rend la lecture des tableaux moins déstabilisante, plus assurée? S’agit-il plutôt du fait qu’elle a su se débarrasser des questions qui l’habitaient depuis l’invention de la photographie quant à sa capacité à reproduire fidèlement le réel, et qu’elle bénéficie maintenant d’une liberté renouvelée? Qu’elle est moins dogmatique ou pamphlétaire qu’elle l’a été au 20e siècle? Qu’elle a développé un langage en opposition complète au flux incessant d’images qui caractérise notre monde?
Ed Pien, The Puppet Player, 2010
Encre et flashe sur papier
136,2 × 203 cm encadré
Avec l’aimable permission de l’artiste
Plutôt que de parler d’un retour, il serait donc plus juste de parler d’une nouvelle visibilité de la peinture. Cette visibilité est médiatique et institutionnelle, certes, mais elle nous invite également à regarder la peinture autrement. En effet, que nous offrent à voir les œuvres présentées dans RELATIONS? Chacune d’entre elles devient un site d’exploration critique, où se négocient les identités et les appartenances, un lieu où se mêle l’histoire au vécu, le personnel au politique. De plus, elles ne sont pas que peintures : collectivement, elles empruntent tour à tour aux stratégies de l’art conceptuel (Jinny Yu), de la critique institutionnelle (Kamrooz Aram), du ready-made (Larry Achiampong), du collage (Manuel Mathieu, Bharti Kher, Frank Bowling), du dessin (Moridja Kitenge Banza, Ed Pien), de l’art textile (Jordan Nassar, Yinka Shonibare) ou de l’art mural (Jessica Sabogal et Shanna Strauss). Ainsi, on ne peut plus parler d’une seule pratique picturale, unifiée et lisse: la peinture est multiple.