Du sari drapé au moulage en plâtre: la mémoire de la peau chez Bharti Kher
Du sari drapé au moulage en plâtre: la mémoire de la peau chez Bharti Kher
L'outil Bharti Kher: Mouvements est conçu par l'équipe de DHC/ART Éducation afin d'encourager les visiteurs à développer en profondeur certains concepts clés explorés par l'exposition Bharti Kher: Points de départ, points qui lient.
Contenu: Peau
Selon vous, quel est le sujet qui parcourt toute votre œuvre? «Il y en a plusieurs... mais, essentiellement, tout porte sur le corps et l’engagement de notre être physique dans l’espace [1]».
–Bharti Kher
Selon Bharti Kher, son œuvre comporte quatre dimensions distinctes, mais interreliées: ses œuvres bindis, ses hybrides, ses ready-made et ses sculptures. Et au cœur de cet ensemble se situe le corps. Puis, associé à celui-ci, vient la peau qui, pour l’artiste, n’est pas là pour enfermer le corps dans une enveloppe perméable: ce qui est manifeste dans ses épidermes formés de bindis fourmillants, dans ses saris étreignant des socles de bétons ou bien dans ses empreintes moulées en plâtre de corps rencontrés, étrangers ou familiers.
Le cœur de baleine bleue: la peau-bindis étreignant l’organe
An absence of assignable cause (2007) est la transposition sculpturale de Kher d’un cœur de baleine bleue. La puissance et l’immensité de cet organe nous dépassent: il pompe et fait circuler le sang à travers le corps du plus grand mammifère sur terre. La sculpture est fidèle à la masse réelle: elle dégage force, mais aussi fragilité et vulnérabilité, de par l’extraction du cœur hors du corps de l’animal. La membrane qui entoure le cœur exposé est striée de veines, mais aussi, elle est formée d’une multitude d’agglomérats de bindis. Issu du mot sanskrit bindu, qui signifie point ou goutte, le bindi est un point habituellement appliqué sur le front entre les sourcils pour représenter le troisième œil.
Cette peau-bindis appliquée sur le cœur sculptural transforme celui-ci, tout autant thématiquement que formellement. De quelles manières?
Le sari drapé: mémoire, portrait, fluidité
Une série d’œuvres présentées dans l’exposition incorporent le sari. Il y a celles qui sont considérées par l’artiste comme des portraits, constituées de saris trempés dans la résine et enroulés sur des socles en béton. Chaque œuvre est associée à une femme connue de Kher et le poids de chaque socle correspond au poids approximatif de l’artiste. Considérer les différents drapés sur ces socles est donc une manière de réfléchir à divers récits liés à ces femmes. Il y a aussi dans l’exposition des œuvres telles que The night she left (2011) ou The day they met (2011), qui sont composées d’escaliers ready-made où des saris s’entortillent ou bien se déploient en une succession de plis. Ce vêtement est associé au corps de la femme de l’Asie du Sud, une étoffe sans couture qui se porte en drapé sur le corps. Il existe une multitude de manières de porter le sari. Chez Kher, ce tissu spécifique peut, entre autres, évoquer la mémoire d’un corps absent, adopter un mouvement naturel ou animal, explorer les dimensions identitaires, culturelles et politiques du vêtement, et aussi évoquer son enfance, où son père travaillait dans les textiles et sa mère était une couturière avec sa propre boutique de tissus.
Observez n’importe quelle œuvre de l’exposition qui comporte un sari et examinez la relation de ce dernier avec l’objet qui est son partenaire. En considérant également le titre de la sculpture, comment interprétez-vous celle-ci?
Moulages de plâtre: l’empreinte d’un corps à corps
De 2012 à 2014, Kher a créé une série de moulages en plâtre de plusieurs travailleuses du sexe de Kolkata, nues, chacune assise sur un tabouret, yeux fermés. En a émergé l’œuvre puissante Six Women (2013-2015), présentée dans l’exposition. Kher a ensuite plus récemment poursuivi cette recherche sur le corps et la peau en créant des sculptures de ses parents. Elle écrivait alors dans son journal: «[Le moulage en plâtre] est un processus étrange et cathartique. Lorsqu’on caresse la peau et applique le plâtre doucement et sans cesse afin que tous les pores et les plis de la peau soient imprimés et emplis de plâtre, c'est comme si on recouvrait et momifiait un être humain. On tente de saisir leur souffle, trouver l’impression de leur esprit et de leurs pensées et les secrets de leur âme. (...) Ce que le moulage porte, seulement le modèle peut l’offrir [2]».
En méditant sur cette réflexion de l’artiste, restez en présence des six femmes un long moment et couchez ensuite librement sur papier vos impressions de cette rencontre.
Marie-Hélène Lemaire
DHC/ART Éducation
[1] BLOOMBERG (2015). «Bharti Kher». Brilliant Ideas. En ligne. https://www.youtube.com/watch?v=ciBfW7ozNg8. Consulté le 3 avril 2018.
[2] ROSENTHAL, Stephanie (2016). «A Rhizomatic Invasion». The Breathing House. Catalogue d’exposition (Freud Museum, 30 septembre-20 novembre 2016). London: Hauser & Wirth Publications, p. 24. Nous traduisons.
Photo: Bharti Kher, An absence of assignable cause, 2007.