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Corps fracturés, rapiécés, corps aimés: la sculpture de Berlinde De Bruyckere

Date et heure
Vendredi 11 novembre 2011

Corps fracturés, rapiécés, corps aimés: la sculpture de Berlinde De Bruyckere

And Berlinde De Bruyckere whispers to the sculptures: «I will heal you, stitch up your wounds, bandage you, revive you, support you, mould you, knead you, draw you, cover you. Longing.» (B. Baert, 2005, p. 9.)

Invisible love and Invisible beauty I et II, 2011 (vues d’installation)

Les corps que Berlinde De Bruyckere nous donne à voir sont en proie, bien souvent, à d’extrêmes souffrances, vulnérables, frappés par la mort, agonisants, survivants. Loin du corps idéalisé et héroïque de la statuaire grecque, les corps-figures de Berlinde De Bruyckere sont en fragments, puis réassemblés, les sutures visibles à l’œil qui caresse la surface des peaux. Cet entrelacement de chairs animales, végétales et humaines est l’étrangeté même, plusieurs avons peine à y faire face, sentant notre propre corps se fragiliser, se fissurer.

En entrant dans une des salles d’exposition, nous voyons devant nous deux immenses chevaux gisants, superposés l’un sur l’autre, soutenus par des tréteaux. Ce sont, selon le titre de l’artiste: Les Deux (2001). En pénétrant plus avant dans la salle, nous voyons sur un mur et sur l’autre deux corps suspendus dans un même état, percés d’un long morceau de bois: immédiatement des images de crucifixion et d’empalement surgissent. Ce sont, selon les mots de l’artiste: Invisible Beauty, Invisible Love, I et II (2011). Notre propre corps, viscéralement choqué, se déplace lentement, encercle les corps-sculptures, est attiré, puis révulsé, soudain immobile. Une question nous habite: “N’y a-t-il que la mort, ici et maintenant, définitive?”

Les Deux, 2001

Silence. Puis un mouvement presque imperceptible — invisible — s’amorce, une chorégraphie des corps a lieu. Les fragments de corps se partagent, une pièce à l’un, une pièce à l’autre. Se dessine une idée de communauté, insoupçonnée au départ. Les crins d’un cheval viennent s’immiscer à l’intérieur du thorax de l’une des figures, deviennent chevelure, offrent un difficile baume à la dureté du morceau de bois. Puis l’œil examine l’arrière d’une figure, des sangles qui évoquent selles et brides se greffent à la chair suspendue et soutiennent le bas du corps, rappel des liens forts entre le cheval et l’humain, animal qui le transporte, qui le guide, mais aussi rappel d’une histoire de violences et de guerres.

Retour à cette image terrifiante d’un poteau de bois au coeur de chaque corps accrochés. Est-ce possible de voir en cet instrument de torture un socle, un support qui empêche les corps de se fracasser en pièces sur le sol? D’y voir un bois-corps inanimé, étranger, qui devient cage thoracique, colonne vertébrale, pour les deux figures? Difficile en effet… puis on se retourne vers Les Deux et on voit les peaux rapiécées qui recouvrent les corps de chevaux et on se rappelle que ces peaux proviennent d’autres chevaux, Les Deux seraient donc davantage, ils seraient trois, quatre peut-être. Et l’image de l’artiste qui, avec constance et endurance, recoud les peaux une à une, celles qui enveloppent les corps. Berlinde De Bruyckere pose des gestes pour unir, pour recouvrir, pour réparer l’irréparable. Elle nous soutient à voir cette beauté invisible et cet amour invisible: il y a là horreur et compassion, mort et faible pulsation, agonie et combat et tout cela tous ensemble, eux et nous.

Invisible love and Invisible beauty II, 2011

Baert, B. (2005). On compassion and longing. Image and genesis in Berlinde De Bruyckere’s work. In Berlinde De Bruyckere One 2002-2004. Paris :De Pont, Tilburg, La Maison Rouge.

Marie-Hélène Lemaire
DHC/ART Éducation

*Ce texte reflète l’opinion de l’auteure et non celle de DHC/ART. 

Photos: Richard-Max Tremblay

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