EN

Les concepts clés de l’exposition Come and See de Jake et Dinos Chapman: la réification

Date et heure
Mardi 22 avril 2014

Les concepts clés de l’exposition Come and See de Jake et Dinos Chapman: la réification

DHC/ART Éducation a conçu le document pédagogique Mouvements: Jake et Dinos Chapmanoù quatre essais traitent de concepts clés contenus dans l’exposition Come and See: la réification, le grotesque/le carnaval, le baroque et la collaboration. Cette semaine nous explorons le premier volet de cette série: réification.

Réifier veut dire suppléer un concept abstrait, une idée ou un sentiment par un objet concret; ainsi, on utilise la figure de «Dame Nature» pour parler de la météo ou on dit que «la route nous appelle» lorsqu’on a le goût de voyager.

Timothy Bewes définit la réification comme un «moment au cours duquel un processus ou un lien entre divers acteurs est généralisé en abstraction puis effectivement transformé en chose» [1]. Réifier implique une transformation des rapports de force entre individus en objets «réels», un procédé qui a pour effet de masquer la structure sociale et culturelle qui sous-tend l’existence de ces objets. Par exemple, lorsqu’on achète un morceau de vêtement dans une boutique, la présence de la marchandise camoufle (et neutralise, d’une certaine façon) le labeur nécessaire, les conditions de travail imposées et les techniques déployées pour créer ce vêtement.

Georg Lukács décrit l’effet de la réification comme une «objectivité fantôme», une «autonomie de l’objet qui semble si strictement rationnelle et généralisée qu’elle cache toute trace de sa nature fondamentale: un rapport entre des individus» [2].

La réification est un concept particulièrement utile pour analyser l’importance de la marchandise dans le système économique actuellement mis en place; c’est la marchandise qui permet de matérialiser un désir chez des consommateurs et d’instaurer des hiérarchies entre les acteurs de ce système. Être conscient de la réification, c’est rendre visible les rapports sociaux qui émergent lorsqu’on produit, achète ou consomme n’importe quel objet.

Dans un contexte artistique, la réification peut être utilisée pour réfléchir aux diverses structures au sein desquelles nous prenons conscience de l’existence d’une œuvre d’art. Réifier devient alors une métaphore de l’acte de création en soi, alors qu’un concept est transformé en objet – réalisé, autrement dit – par l’utilisation d’un médium et par la présence d’un artiste. La réification peut nous aider à comprendre les œuvres d’art en les plaçant dans leur contexte plus général, en les considérant comme des parties de systèmes plus complexes plutôt que des finalités en soi.

En contrant l’effet d’«objectivité fantôme» de la réification, nous pouvons analyser les œuvres d’art selon les critères suivants: leur circulation dans des musées ou des galeries, leur participation dans une structure économique marchande, leur place dans le récit de l’histoire de l’art récente et l’interprétation qu’en fait le grand public, les critiques et les historiens d’art. Cela veut dire que chaque œuvre d’art, incluant celles des frères Chapman, ne peut être considérée seulement en tant qu’objet: en constant mouvement, les œuvres d’art cristallisent et rendent visibles les jeux de pouvoir du monde de l’art, de la production du savoir et de l’économie mondiale.

De garder en tête la réification est une bonne façon de développer son esprit critique, une aptitude essentielle pour le visiteur d’une exposition d’art contemporain (et pour les citoyens, en général).

Croyez-vous que Jake et Dinos Chapman réifient quelque chose par leur démarche artistique? Si oui, comment décririez-vous cette réification? Comment le font-ils? Quelles références ou matériaux sont utilisés? Quelle est la structure (ou le concept abstrait) dissimulé par ce processus de réification?

La réification est un concept-clé pour réfléchir aux effets et aux implications du capitalisme dans nos sociétés, particulièrement en ce qui concerne notre rapport aux objets. À votre avis, les frères Chapman développent-ils une critique du système capitaliste dans leur travail? Font-ils plutôt l’apologie de ce système économique? Le travail des frères Chapman vous fait-il reconsidérer votre propre rapport à la consommation ou au capitalisme?

À propos de l’outil Mouvements:

L’outil Mouvements est conçu par DHC/ART Éducation afin d’encourager les visiteurs à développer en profondeur certaines idées clés explorées par l’exposition Come and See. Dès que des participants utilisent Mouvements, les concepts proposés par les éducateurs de DHC/ART se partagent peu à peu entre eux via leur force d’évocation et de résonance; s’ouvrent ainsi des pistes de réflexion communes autour des œuvres et de l’exposition. Avec le temps, ces concepts migratoires voyagent, s’enrichissent et se transforment, ils inspirent à tous et chacun d’autres idées qui constitueront de nouvelles contributions aux conversations sur l’art.

Mouvements nous rappelle également que l’expérience esthétique s’adresse tout autant à notre corps — à tous ses sens et à ses mouvements — qu’à notre intellect. Les mouvements physiques de notre corps sont intimement liés à ses mouvements émotifs et affectifs. Nos déplacements dans l’espace d’exposition éveillent nos sens. Au rythme de nos trajectoires et de nos jeux avec les différentes perspectives, notre vision devient mobile elle aussi : les images prennent forme alors que notre mémoire et notre imagination sont touchées, un paysage visuel se structure peu à peu. À l’aide de ce document, nous vous invitons à plonger tout entier — esprit et corps — dans les expositions de DHC/ART afin de développer une compréhension riche et dynamique de celles-ci.

[1] BEWES, Timothy (2002). Reification, or the Anxiety of Late Capitalism. New York: Verso, p. 3. 2
[2] LUKÀCS, Georg (1972 [1923]). “Reification and the Consciousness of the Proletariat”. History and Class Consciousness: Studies in Marxist Dialectics. Cambridge : MIT Press. En ligne. http://www.sfu.ca/~andrewf/books/Reification_Consciousness_Lukacs.pdf.Consulté le 27 février 2014.

Photo: Jake et Dinos Chapman. When the world ends there’ll be no more air that’s why it’s important to pollute the air now before it’s too late. (…) (Free Willy).Détail. 2011-2012. Avec le concours de White Cube.

 

Articles reliés

L’art comme relique?

Par Daniel Fiset et Kim Johnson Thème: L’art comme relique Dans son exposition L’explorateur de reliques, l’artiste multidisciplinaire Larry Achiampong propose l’idée d’un escadron panafricain qui aurait pour mission d’écouter, de préserver et de
Lire la suite

Un regard sur l’écoute des ancêtres dans la circularité du temps

Par Jahsun Promesse et Pohanna Pyne Feinberg Cet essai fait partie d’un projet de co-création mené par Pohanna Pyne Feinberg et l’équipe de l’éducation de la Fondation PHI en collaboration avec l’invité spécial Jahsun Promesse. Le projet de co-création comprend
Lire la suite

La mémoire de l’eau: la poésie visuelle d’Un chemin escarpé

Cet écrit poétique est le fruit d’un projet de co-création entre Méshama Rose Eyob-Austin et Marie-Hélène Lemaire qui porte sur l’œuvre Un chemin escarpé de l’artiste Jamilah Sabur. Il prend la forme d’une introduction et d’un «poème sur l’eau»
Lire la suite

Matériaux d’atelier: Tracés par le feu: frottis de charbon et ensemencements

Tracés par le feu: frottis de charbon et ensemencements est un atelier de création en ligne conçu et animé par l’artiste Alana Bartol, ainsi que par l’artiste, botaniste et éducatrice Latifa Pelletier-Ahmed – toutes deux basées à Mohkinstsis/Calgary – en
Lire la suite
Exposition reliée

Abonnez-vous à notre infolettre

* Champs obligatoires