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S’approprier les gestes: symbole, rituel, forme

Date et heure
Mardi 24 mai 2016

S’approprier les gestes: symbole, rituel, forme

L'outil Joan Jonas: Mouvements est conçu par l'équipe de DHC/ART Éducation afin d'encourager les visiteurs à développer en profondeur certains concepts clés explorés par l'exposition Joan Jonas: From Away. Ces concepts sont la subjectivité féminine, la nature, le geste et le fantôme.

Composition: Geste

«La véritable artiste, alors, est celle qui “vit en renonçant à la raison et en s’abandonnant inconditionnellement au geste et dans le geste”. [1]»
- Vilém Flusser

Décoder le sens et les références découlant des gestes a été fondamental à la discipline de l’histoire de l’art. Des dictionnaires iconographiques, tels que l’Iconologia de Cesare Ripa, dressaient des listes de poses, de costumes et d’objets qui pouvaient être utilisés comme symboles ou allégories par des artistes. Plus tard, des historiens de l’art comme Aby Warburg ou Erwin Panofsky ont développé l’iconologie, une méthode qui doit beaucoup aux significations multiples des gestes et des attitudes. L’exemple classique pour expliquer l’iconologie est de considérer l’acte de lever son chapeau pour saluer quelqu’un dans la rue. Après avoir identifié les éléments du geste en soi, on peut interpréter conventionnellement le geste (la personne est probablement en train d’en saluer une autre au passage), après quoi il est possible d’aller au-delà de la convention pour décoder et juxtaposer d’autres sens au même geste [2]. Un tel système pourrait s’appliquer à Joan Jonas, dont l’œuvre est riche en références à d’autres récits: le geste est alors compris comme un mouvement symbolique qui, au sein d’une même œuvre, incarne plusieurs significations.

Mais le travail de Jonas va souvent au-delà de la nature référentielle du geste, pour en faire un des matériaux de sa pratique. Le geste est alors plus près de ce que Vilém Flusser définit comme le «rituel», quelque chose d’«essentiellement esthétique, concerné ni par une volonté de changer le monde ou de communiquer un propos, mais plutôt par un désir d’exprimer une manière unique d’être au monde [3]». Dans Wind (1968), par exemple, le geste est effectué par les performeurs qui réagissent à la force qu’exercent les éléments sur leurs corps; d’autres vidéos, comme Street Scene with Chalk (1976/2008/2010) ou Vertical Roll (1972), démontrent un intérêt similaire pour la ritualisation du geste.

Beaucoup des œuvres de Jonas se basent sur la performance et sont donc sujettes à l’éphémère. Depuis deux décennies, l’artiste a cherché à réinterpréter ses gestes en utilisant divers dispositifs et technologies. Les gestes sont réévalués par un processus que Jonas nomme traduction, considéré comme «une migration par les formes», un «transfert de contenus d’une forme à une autre, créant des correspondances dynamiques entre les différents aspects de son art [4]». Les gestes sont alors compris non pas uniquement comme des symboles ou des rituels, mais comme des formes à être réappropriées constamment par l’artiste et son public. Ceci fait écho à la pensée de W.J.T. Mitchell: «le geste est peut-être le mieux compris au moment ou la pensée devient visible, tangible, palpable, mise en scène et encadrée comme forme c.-à-d. quelque chose qui doit être tenu et qui nous tient en préhension mutuelle [5]».

W.J.T. Mitchell continue: «Que deviendra la philosophie quand une pensée, un argument, un système pourront être formulés dans un geste citable, présenté au regardeur dans l’espace signant du corps humain [6]?» Cette question pourrait-elle être posée à propos de l’art? Que deviendrait l’art s’il était pensé en dehors du logocentrisme, par le corps?

Identifiez certains gestes qui sont récurrents dans l’œuvre de Jonas. Comment les rapportez-vous à votre propre corps? Qu’est-ce que ces gestes suggèrent? À quoi se réfèrent-ils? Comment comprenez-vous leurs composantes symboliques, rituelles ou formelles?

Daniel Fiset
DHC/ART Éducation

[1] ROTH, Nancy Ann (2014). «Mira Schendel’s Gesture: On Art in Vilém Flusser’s Thought, with “Mira Schendel” by Flusser». Tate Papers, no 21 (printemps). En ligne. http://www.tate.org.uk/research/publications/tate-papers/21/mira-schendels-gesture-on-art-in-vilem-flussers-thought-with-mira-schendel-by-flusser. Pour cette citation comme pour les citations suivantes, nous traduisons de l’anglais.
[2] HOLLY, Michael Ann (1985). Panofsky and the Foundations of Art History. Ithaca: Cornell University Press, p. 40-41.
[3] ROTH, Nancy Ann. Op. cit..
[4] WILLIAMS, Robin Kathleen (2015). “A Mode of Translation: Joan Jonas’s Performance Installations”. Stedelijk Studies, vol. 3. Online. http://www.stedelijkstudies.com/journal/a-mode-of-translation-joan-jonass-performance-installations.
[5] MITCHELL, W.J.T. (2002). “Utopian Gestures”. Signing the Body Poetic: Essays on American Sign Language Literature. Volume 2. Berkeley: University of California Press, XXI.
[6] Ibid.

Photo: Joan Jonas, They Come to Us without a Word II, 2015. Extrait de la performance. Photo: Moira Ricci, courtesy of the artist.

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